Derrière le voile de l’oeil céleste (3)
(continued)
III. CHARISMES ET MÉDIUMNISME APRÈS 1975 : DE LA CALIFORNIE AU VIETNAM
En 1979, Đỗ Vạn Lý (Fig. 2) a été approché par un groupe de familles caodaïstes qui s’étaient établies au Nord de la Californie dans le but de mener un rassemblement intercommunautaire. Le titre religieux qu’il avait obtenu au CQPTGL, tham lý minh đạo (vice-conservateur de la Voie éclairée), faisait de lui une personne qualifiée pour diriger les cérémonies et organiser des séances médiumniques. Il était en outre le plus âgé de toute la communauté caodaïste outre-mer (je rappelle qu’il est né en 1910). De manière théâtrale mais tout aussi impressionnante et gravée dans les esprits des caodaïstes qui ont assisté à la scène37, Đỗ Vạn Lý déchira une offre de travail par une banque internationale au cours d’une cérémonie, montrant par là qu’il était bel et bien décidé à poursuivre outre-mer son devoir religieux commencé au Vietnam38. Il rédigea dans la foulée un résumé de dix pages de la doctrine caodaïste et l’envoya au bureau d’État américain qui autorise le culte des dénominations religieuses, incluant des traductions françaises de la Constitution religieuse et du Nouveau Code caodaïstes. Il déposa ainsi une candidature officielle pour que le caodaïsme en Californie soit reconnu comme religion, c’est-à-dire dotée d’un statut non lucratif. Il visita également Thiên Lý Bửu Tòa, c’est-à-dire le premier temple caodaïste fondé hors du Vietnam en 1977, à San José. Son autorité fut accrue après qu’il ait pu soulever des fonds auprès d’un autre temple, fondé en 1983 à Alfortville, en banlieue parisienne, lequel temple était dirigé par un de ses vieux coreligionnaires du CQPTGL, Lê Văn Bá (né en 1918), alias Chí Tín39. Le caodaïsme globalisé faisait son apparition.
Deux millions de Vietnamiens ont quitté leur pays entre 1975 et 1985. Parmi les nombreux caodaïstes qui ont fait partie de ces vagues de boat people, se retrouvaient particulièrement les fidèles du Saint-Siège de Tây Ninh, branche caodaïste qui avait le plus affirmé ses choix politiques anti-communistes et donc en rivalité directe avec le nouveau régime socialiste. En 1990, beaucoup de jeunes caodaïstes avaient mis en place des thánh thất (littéralement « saintes maisons »), communément traduites en anglais comme temples, ou bien églises en français. Une cérémonie de bénédiction a été organisée à Riverside (Californie), en 1994, dans le but d’inaugurer son nouveau temple qui fut la première copie conforme du Saint-siège de Tây Ninh aux États-Unis. Selon J. Jammes, qui consacre plusieurs pages à ce temple :
Le temple devait inclure un centre de méditation, une bibliothèque, une salle de classe, un « centre de nutrition pour promouvoir la longévité », une clinique et un centre pour les sans-abri. Le projet s’inspirait de « l’organe de charité et de travail social » (cơ quan phước thiện) de Tây Ninh.40
Ce projet ambitieux a été mené par le docteur Bùi Đắc Hùm qui désirait ouvrir activement la foi caodaïste aux peuples de toutes les nationalités :
Maintenant, les Américains commencent à découvrir la valeur de la forme ésotérique originale du caodaïsme, avec ses pratiques de méditation, de végétarisme et de vide de l’esprit pour ouvrir la voie vers des conversations avec Dieu. De la même manière que le bouddhisme tibétain a pu attirer de nombreux disciples occidentaux, le caodaïsme a débuté un processus de diffusion vers l’Occident de sa précieuse information ésotérique. Le premier temple ouvert à l’entrée et à l’acceptation des Occidentaux se trouve à Riverside, en Californie. Ses responsables ont le vif désir de communiquer leurs enseignements en anglais aux Américains (vietnamiens et non vietnamiens) de sorte que le premier et principal message reçu de l’Être Suprême – celui que nous ne sommes qu’Un et que nous devons nous rassembler sous la même et Unique Divinité Sans Nom – puisse être délivré et qu’un chemin de pratique ésotérique puisse débuter pour atteindre ce but (la réunification de l’individu avec l’Être Suprême).41
L’argent nécessaire pour réaliser cet ambitieux projet n’a pas été rassemblé, notamment en raison des polémiques apparues sur le nouveau rapport que le temple de Riverside allait avoir avec le Saint-Siège de Tây Ninh. Ce lien était jusqu’alors défini comme un rapport d’allégeance des temples de la branche de Tây Ninh envers ce Saint-Siège. Or l’exil eut pour effet d’encourager de nombreux adeptes à trouver leur propre chemin et à mettre en place une organisation indépendante sur le sol américain, et ce d’autant plus qu’une défiance était apparue à l’encontre de la nouvelle hiérarchie officielle de Tây Ninh. Cette dernière, dissoute en 1975, fut réorganisée par le régime socialiste sous la forme d’un Comité de gestion (Hội đồng chưởng quân)42. De plus, l’approche non confessionnelle prêchée par le docteur Bùi Đắc Hùm – bien qu’il soit originaire de la province de Tây Ninh et qu’il soit lié par mariage à Phạm Công Tắc – ne semblait pas acceptable à plusieurs adeptes influents
de Tây Ninh, lesquels décidèrent de se regrouper au sein d’une organisation rivale dite la Mission caodaïste outre-mer (Cao Đài Overseas Missionary, CDOM). En novembre 2005, une autre cérémonie eut lieu à Garden Grove pour le démarrage de la construction d’un temple sur le modèle architectural de Tây Ninh. Le temple sera inauguré début 2007.
Les efforts pour rétablir les séances médiumniques aux États-Unis font l’objet de controverses au sein de la communauté caodaïste, tant au Vietnam qu’outre-mer. Au début des années 1980, Đỗ Vạn Lý a voulu former plusieurs fillettes âgées de sept ou huit ans à l’activité de médium (đồng tử) et à la réception d’oracles, sur le modèle de la médium Hoàng Mai, qui fut formée avant de rejoindre ses responsabilités de médium au sein du CQPTGL. La formation nécessitait un vœu de plein et définitif végétarisme. Pourtant, la formation ne fut pas couronnée de succès (bien qu’au moins une de ces « filles médiums » soit restée une caodaïste très engagée et est maintenant médecin). Au temple Thiên Lý Bửu Tòa (littéralement « Cour de la Raison Céleste »), à San José, la médium Bạch Diệu Hoa a reçu une série d’oracles aujourd’hui édités et distribués sur Internet. Le premier volume de ces messages (Đại Giác Thánh Giáo Pháp), contient cinquante-quatre messages, dont quatorze du Maître Cao Đài (Ngọc Hoàng Thượng Đế, l’Empereur de Jade ou l’Être Suprême), six de Jésus-Christ, deux de Bouddha (Thích Ca Mau Ni Phật), deux de Quan Công (Quan Thánh Đế Quân), un de la Vierge Marie (Đức Mẹ Maria), quatre du fondateur du caodaïsme (Ngô Văn Chiêu), deux du poète Lý Thái Bạch (le pape spirituel du caodaïsme), un de la reine-mère Diêu Trì Kim Mẫu, un de Noé
(de l’Ancien Testament) et, enfin, un oracle de l’esprit de l’Américain Joseph Smith, le fondateur du Mormonisme.
L’esprit de J. Smith a été introduit dans le panthéon des caodaïstes américains en raison des révélations qu’il aurait reçues de la part de l’ange Moroni, lesquelles font parties d’une tradition du spiritisme. Les soubassements idéologiques et ésotériques de Smith, comme franc-maçon, font qu’il a utilisé de nombreux symboles partagés avec ceux du caodaïsme (comme l’oeil, la lune et les étoiles, etc.) sur les frontispices des temples mormons. Il est peut-être significatif que les rares caodaïstes nonvietnamiens, comme Stephen Stratford et Ngasha Beck, proviennent d’un enseignement mormon, tout en rejetant du mormonisme ce qu’ils ont vu comme idéologie raciste et patriarcale, trouvant dans le caodaïsme une « maison spirituelle plus accueillante ».
La médium Bạch Diệu Hoa a également essayé de former de nouveaux médiums dans les années 1980, utilisant la Corbeille à bec de phœnix pour recevoir et écrire des messages. Mais cette expérience a révélé l’inexpérience et un certain décalage culturel chez les jeunes recrues. Les messages reçus avaient trop souvent la forme de griffonnages inintelligibles, et certaines d’entre elles étaient trop apeurées pour continuer ce rôle :
Lorsque la Corbeille [instrument médiumnique] a commencé à se déplacer, une des jeunes médiums en formation a été effrayée et pleura comme un bébé.43
Le 9 novembre 2003, Cao Lương Thiện, un médium à San José, a reçu un oracle déclarant que, puisque après 1975 les différents « saints-sièges » des branches caodaïstes situés au Vietnam (Hội Thánh) ne pourraient plus communiquer avec les caodaïstes d’outre-mer, ces derniers devaient dorénavant écouter les conseils directs de Lý Thái Bạch, pape spirituel, et de sept des plus importants dignitaires (dont Phạm Công Tắc et le premier disciple Ngô Văn Chiêu) :
Nous, les Immortels, sommes heureux de vous voir partir outre-mer afin de diffuser les messages du Cao Đài vers de nouvelles personnes. Dieu a créé la religion pour sauver les Vietnamiens, mais également toute l’humanité. Ses bénédictions iront aux bons et les pénalités iront à ceux qui s’opposent à la volonté de Dieu. Regardez le passé comme un exemple et étudiez le bien afin de répandre les enseignements pour l’avenir. Lorsque nous, les Immortels, étions vivants, nous avons parfois connu des divisions. Vous ne devez ainsi pas suivre notre exemple mais plutôt apprendre à fonctionner ensemble et de manière plus efficace… Vous devez vous unifier pour devenir le phare du monde occidental de sorte que les gens puissent trouver la paix, le salut et le bonheur.44
Son appel pour l’unité des branches caodaïstes n’a pas reçu un élan de ralliement collectif, des méfiances et oppositions individuelles s’immisçant spontanément sur la scène publique. Des désaccords avec la direction du Thiên Lý Bửu Tòa l’ont dès lors amené à fonder son propre « Centre de méditation de la Conscience Céleste » (Thiên Tâm Tịnh Thất), à San José. Cao Lương Thiện est décédé en 2008, et parmi les médiums californiens connus demeure la personne de Bùi Văn Khảm, ancienne connaissance du Vietnam et du CQPTGL, et vivant aujourd’hui près de Los Angeles. Tous deux ont en effet fait partie de l’armée du Sud et sont liés à l’organe CQPTGL : Cao Lương Thiện a dirigé le groupe des jeunesses caodaïstes de cet organe missionnaire dans les années 1970, tandis que Bùi Văn Khảm a participé à quelques classes sans être formellement affilié. Ils ont connu Đỗ Vạn Lý et le respectaient, mais ils ont choisi de retourner au Vietnam après la réouverture des relations avec les États-Unis en 1995. Bùi Văn Khảm est un exégète qui produit des lectures ésotériques de la doctrine caodaïste. Sa connaissance vient notamment de son activité de médium, qu’il entreprend individuellement. Prenant des chemins très différents, ces deux personnalités font partie d’une nouvelle génération de caodaïstes qui a renoué des liens avec les caodaïstes au Vietnam, traçant des passerelles avec les communautés d’outre-mer. Disséminés dans le monde entier, ils facilitent la (re)construction de temples et la publication de journaux religieux vietnamiens.
Qu’est devenu le caodaïsme sur sa terre natale, le Vietnam ? En 1975, après l’arrivée des troupes communistes à Saigon, le Conseil révolutionnaire de Tây Ninh a immédiatement publiquement proclamé la condamnation du caodaïsme, perçu comme « contre-révolutionnaire », et de tous ses dignitaires, stigmatisés comme traîtres à la révolution et la patrie. Le nom de Phạm Công Tắc a été cité comme « traître numéro un ». Toutes les écoles, tous les hôpitaux, orphelinats et services sociaux fondés par les caodaïstes, furent nationalisés ; des milliers de temples fermés ; plusieurs dignitaires envoyés dans des camps de prisonniers, où certains trouveront la mort. Le médium principal de l’époque, Hồ Tấn Khoa, conseilla aux caodaïstes de réagir à l’interdiction des rituels publics en se tournant vers des pratiques ésotériques, à savoir la méditation et le développement spirituel (vô vi). Il fut arrêté en 1983 pour avoir reçu des oracles millénaristes liés au passage de la comète de Halley. Il vécut le reste de ses jours assigné à domicile, tandis que son fils Hồ Thái Bạch fut exécuté pour avoir participé à « une organisation subversive » et contre l’État. En 1984, huit mille caodaïstes ont été obligés de suivre des cours de rééducation, « passant en revue » le Code pénal45 .
Mais à Hochiminh-ville, l’organe pour la Diffusion de la doctrine caodaïste est resté ouvert. Si, au début, des soldats vietnamiens du Nord ont assisté aux classes pour les surveiller et s’assurer qu’aucune activité politique ne s’y menait, les cérémonies quotidiennes suivaient leur cours. Des éléments procommunistes avaient vraisemblablement infiltré les membres de la jeunesse de cet organe caodaïste. Parmi leurs instructeurs, Đinh Văn Đệ (alias Thiên Vương Tinh, « Uranus », comme nom religieux) était le responsable du Collège des médiums (Hiệp Thiên Đài), et entre autres de l’enseignement des modes de communication avec les esprits (médiumnisme cơ bút, écriture automatique en méditation, etc.). Selon lui, les caodaïstes qui ont soutenu la victoire communiste nous ont donné un endroit où mettre les pieds au Vietnam après la chute de l’ancien régime, et nous ont permis de continuer d’être de bons citoyens jusqu’à présent.46
L’interdiction par le gouvernement communiste des séances médiumniques à partir de 1975 a exigé une nouvelle stratégie chez les caodaïstes. Les formes ésotériques de méditation individuelle, qui offraient la possibilité d’ « avoir des conversations avec des divinités » et de recevoir de nouveaux textes religieux, ont plus ou moins pris la place des séances médiumniques collectives47. Néanmoins, ces dernières peuvent être tenues de manière clandestine lors de « retraites religieuses privées », mais elles ne sont plus ouvertes au public et les messages reçus ne sont pas publiés dans la revue du CQPTGL. Les femmes médiums qui ont reçu ces messages sont toujours membres de cet organe (bien qu’elles soient plus âgées maintenant). L’une d’elles a fait une conférence publique lors d’une cérémonie en l’honneur de Quan Âm à laquelle j’ai assistée en juillet 2006.
Pour cette conférence, comme pour tous les textes communiqués publiquement (exégèses publiées, conférences, sermons), le contenu des messages est soigneusement surveillé et contrôlé afin de le nettoyer de toutes références et critiques politiques qui étaient caractéristiques des messages médiumniques de la période coloniale. Les dignitaires religieux masculins (à l’instar de Đinh Văn Đệ) lisent ces messages, les corrigent, et décident s’ils doivent être mis au pilon, diffusés ou archivés. Si la position officielle des caodaïstes vietnamiens proclame que l’« ère des révélations » est bien terminée, en fait, leur théologie continue de s’étoffer en s’adaptant à de nouveaux contextes historiques. Ces innovations théologiques s’expriment au travers des centaines d’exégèses d’oracles anciens produites chaque année, mais également au travers d’une nouvelle production médiumnique (soit par voie méditative et privée, soit par médiumnisme collectif clandestin).
L’intimité des anciennes séances médiumniques, durant lesquelles seule une poignée de hauts dignitaires se mettait à genoux devant l’autel en observant le mouvement du panier du phœnix, n’existe plus. De telles séances sont désormais organisées dans la salle de méditation. Il peut également se produire un phénomène pendant lequel les mains secouées avec l’énergie des esprits se mettent à écrire des messages sur la page. Cette dernière méthode d’écriture automatique se dénomme chấp bút (« rédiger ») et est souvent réservée à la plus haute autorité de la séance, à savoir le maître de méditation ou Bảo Đạo (littéralement le « protecteur de la voie »), plutôt que le maître des médiums (Hộ Pháp, « le défenseur du dharma »). Il faut souligner que tous les deux prennent place dans le Hiệp Thiên Đài, ou le « Palais pour communiquer avec les cieux », et participent aux mêmes techniques ésotériques et prohibitions rituelles (célibat, végétarisme).
Contrairement à ce qu’il paraît, ces changements ne constituent guère une réelle rupture avec les anciennes pratiques médiumniques recensées entre 1965 et 1975. Selon Đỗ Vạn Lý, certains contrôles des textes écrits et oraux avaient été déjà mis en application par l’administration de CQPTGL quand il en faisait
partie :
Le spiritisme [le médiumnisme cơ bút] est un rasoir à double tranchant pour les caodaïstes. La foi a été fondée par le spiritisme, elle s’est développée considérablement à travers le spiritisme mais elle a aussi eu des problèmes à cause du spiritisme. Il y avait une inflation du spiritisme : chacun le pratiquait et tenait des séances dans sa propre maison, parlant directement à Dieu. Ainsi Dieu a dû le limiter [ce mode de communication], pour le garder sous son contrôle, pour mettre un frein au surnaturel effréné et non responsable. Dieu a voulu tester la soif [du peuple] pour l’illumination, et il a constaté que les gens la désiraient vraiment, bien qu’il soit très facile d’en perdre le contrôle.48
Le travail d’interprétation et d’exégèse a pour principal objectif d’expliquer l’obscure terminologie religieuse sino-vietnamienne et de rendre les enseignements plus « accessibles » à la jeune génération. Un tel enjeu demeure essentiel au sein du CQPTGL. Les publications de cet organe sont largement constituées à partir des commentaires d’anciens et de nouveaux oracles, et un grand nombre de ces exégèses circulent aujourd’hui sur le site Internet du CQPTGL (www.nghipcaugiaoly.org) ainsi que sur un site américain partenaire (le site du temple de San José : www.thienlybuutoa.org).
Plusieurs dignitaires importants alors en exil sont retournés vivre au Vietnam. C’est notamment le cas de Lê Văn Bá (alias Chí Tín), le médium le plus ancien du CQPTGL (qui avait passé deux décennies en France) et de Lâm Lý Hùng, le petit fils du médium et fondateur de la religion Minh Lý, Âu Kiệt Lâm (qui a vécu près de trente années au sud de la Californie). La politique religieuse du gouvernement vietnamien, progressivement plus libérale, fait que les deux organisations caodaïstes ou pro-caodaïstes liées au personnage clef du CQPTGL, Trần Văn Quế, ont été reconstituées et ont reçu l’autorisation officielle d’exercer le culte (l’organe missionnaire au Centre du Vietnam ou Cơ Quan Truyền Giáo Trung Việt, ainsi que le Tam Tông Miếu). De fait, l’ancienne collaboration avec le CQPTGL s’est faite plus ouvertement et un ensemble de nouveaux messages médiumniques sont venus stimuler la solidarité et le partage de leur connaissance théologique.
Le 30 novembre 2006, le corps de Phạm Công Tắc, qui avait quitté le Vietnam pour le Cambodge en 1956, a été ramené au Saint-Siège de Tây Ninh « après un demi-siècle d’exil », comme se plaisent à rappeler les caodaïstes de Tây Ninh. Un gigantesque cortège de milliers de véhicules a accompagné le corps de Phnom Penh à Tây Ninh. Phạm Công Tắc avait souhaité que son corps reste à l’étranger « jusqu’à ce que le Vietnam soit unifié et qu’il suive une politique de paix et d’indépendance pour laquelle j’ai donné ma vie » (propos tiré de sa dernière lettre au Roi Sihanouk). Quelques caodaïstes d’outre-mer – les plus anti-communistes – ont protesté que le retour du Hộ Pháp dans les conditions actuelles était « une insulte à notre religion et un sacrilège contre notre chef suprême » (lettre du 10 octobre 2006 au Premier ministre Hun Sen, du Comité de liberté religieuse caodaïste). Au contraire, d’autres considèrent que « maintenant que son esprit sera avec nous au Saint-siège », le Conseil de gestion du gouvernement sera reformulé pour correspondre à la Constitution caodaïste (Pháp Chánh Truyền) reçue par Phạm Công Tắc en tant que médium. Cette position est notamment celle Trần Quang Cảnh, petit-fils d’un dignitaire de Tây Ninh (Trần Quang Vinh) et président de Cao Đài Overseas Missionary.
La polémique au sujet du retour du corps du Hộ Pháp au Vietnam met en évidence la dimension politique des réclamations émergeant d’outre-mer, laquelle contraste fortement avec les revendications et les activités caodaïstes au Vietnam. Bien que le corps de Phạm Công Tắc soit resté au Cambodge durant une cinquantaine d’années, son charisme persiste. Au demeurant, sa présence spirituelle « exilée » au Cambodge confirme – à l’instar du Dalai Lama – que le vrai lieu d’autorité spirituelle s’étend ailleurs. Les communautés caodaïstes d’outre-mer ont en effet pu prétendre que le caodaïsme a dû « être reconstruit de l’extérieur », réalisant par là une prophétie (lời tiên tri) contenue dans une lettre du temple de Sydney :
Đạo sao này sẽ thành từ ngoài thành vào
La religion sera plus tard refondée pour agir de l’extérieur vers l’intérieur [du Vietnam].
(à continuer)
Janet Hoskins
36 Entretien, juin 2005.
37 J. Jammes corrobore cette hypothèse dans son étude du caodaïsme en France et au Canada (com. pers., 2010).
38 Đỗ Vạn Lý, à l’instar du premier adepte du caodaïsme, Ngô Văn Chiêu, déclina toute une série de postes qui lui auraient été proposés. Il aurait ainsi refusé de diriger le gouvernement de l’empereur Bảo Đại en 1950 (un poste brièvement occupé par un autre caodaïste, Nguyễn Phan Long), puis d’être à la direction d’un régime sud-vietnamien en exil en Californie (lequel existe, sans sa participation).
39 Sur ce personnage, voir la biographie faite par JAMMES, J., op. cit., pp. 288-293.
40 JAMMES, J., « Caodaism and its global networks: an ethnological approach of a Vietnamese religious movement in Vietnam, Camb