L’enfance de Jésus, un récit populaire

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Dès que le mot « apocryphe » est prononcé, tout un monde apparaît dans l’imaginaire. Ils évoquent des textes mystérieux, des secrets soigneusement enterrés par d’occultes puissances soucieuses de conserver leur emprise, ou encore des révélations stupéfiantes restées inaccessibles durant des siècles. Pourtant pour ceux que l’on nomme les "apocryphes de l’enfance de Jésus", rien de tout cela n’est exact, car ces derniers n’ont, à vrai dire, absolument rien de caché…


Ces textes jouèrent un rôle important dans l’Église officielle. Ces derniers datent pour la plupart d’une période allant du IIe siècle au VIIIe siècle. Ils traitent de différentes époques : avant la venue au monde de Jésus et depuis sa naissance jusqu’au début de son ministère public (ce que les commentateurs nomment habituellement "la vie cachée").


Tout d’abord, ces textes n’entendent pas remplacer les textes canoniques. En présentant des épisodes de la vie du Christ volontairement ignorées par les évangiles, ils tentent de compléter ces récits, de répondre à des questions légitimes sur la vie des parents de Jésus et d’imaginer celle de ce dernier lors de la Fuite en Égypte ou à Nazareth. Bien loin d’être des substituts aux évangiles, ils renouent avec l’ancienne pratique juive du midrash, ces commentaires parfois assez longs dont le but est précisément de remplir les "blancs" du texte.


Marie avant la nativité


Le Protévangile de Jacques, par exemple, constitue l’une des premières traces du culte à la Vierge qui deviendra par la suite si important dans le christianisme. Le texte retrace des événements qui précèdent la Nativité relatée par les Évangiles de Luc et de Matthieu : le récit débute avant la naissance de Marie et se concentre sur la mère de Jésus. Celle-ci est présentée comme une jeune fille à la naissance exceptionnelle : comme Abraham et Sara, ses parents Joachim et Anne sont des vieillards stériles dont la piété exemplaire est récompensée par la venue d’un enfant dans leur grand âge. Sa vertu est également édifiante : présentée au Temple dès son plus jeune âge, elle y vit dans la discrétion, file le voile destiné à ce dernier, et passe sa vie dans la prière. Elle reçoit son mari à la faveur d’un miracle qui rappelle la résurrection : Joseph est désigné car une colombe sorte d’un bâton qu’il avait en main. Cela permet de contrer ceux qui niaient sa virginité confirmée plusieurs fois par le récit, qui précise notamment qu’une sage-femme l’a même vérifié. Le Protévangile de Jacques s’apparente donc à des vies de saints, à ces récits hagiographiques qui commencent à naître dans l’Église.


L’Évangile du Pseudo-Thomas (appelé aussi Histoire de l’enfance de Jésus) date quant à lui du IVe siècle. Ce sont des récits populaires, où se succèdent des miracles tous plus extraordinaires les uns que les autres destinés à émerveiller le bon peuple : Jésus enfant ressuscite des morts, répond avec sagesse à ses maîtres et manifeste sa science infuse ; il maudit ceux qui lui veulent du mal, soulage le travail de sa mère en réalisant des actes stupéfiants. Sa théologie sous-jacente est des plus simples : si Jésus est Dieu, alors il peut faire tous les prodiges qu’il veut, et ceux-ci prouvent sa divinité. La Vie de Jésus en arabe datant du ve siècle n’est pas en reste : elle aussi multiplie les résurrections, les miracles de la nature et les destructions d’idoles. Le but est ici un peu différent : grâce au récit du trajet de la Sainte Famille en Égypte, toute une géographie de sanctuaires et de lieux saints trouve sa justification : un palmier se penche pour fournir ombre et fruits à Marie et à l’Enfant, des temples s’effondrent sur leurs idoles.


On est bien loin ici des cénacles bien informés, des secrets réservés au petit nombre, des vérités soigneusement cachées aux foules. Ces textes servaient au contraire à convaincre les fidèles par des histoires édifiantes, à accompagner des pèlerinages et des dévotions populaires, à asseoir la propagation du christianisme dans les campagnes. L’Histoire de Joseph le Charpentier explique pourquoi le père de Jésus n’apparaît plus dans les évangiles : on y fait le récit de sa mort édifiante, preuve qu’un culte commençait bien à apparaître dans les campagnes égyptiennes au IVe siècle. On règle également la question de la famille de Jésus en expliquant que les « frères » de Jésus étaient les fruits d’un premier mariage du charpentier et non les enfants de Marie, restée vierge après la Nativité.


Il faut enfin en finir avec l’idée que le terme « apocryphe » s’applique aux textes et se souvenir qu’à l’origine l’adjectif qualifiait simplement les auteurs, dont on ne connaissait pas les noms. En effet, rien n’est moins caché que le Protévangile de Jacques. Le texte a été rédigé au IIIe siècle et le nombre de manuscrits conservés suggère qu’il connut un très grand succès. Il était même tellement irremplaçable qu’au VIe siècle lorsque certaines de ses expressions se mirent à ne plus convenir à la théologie en vigueur et qu’il fut jugé comme manquant un peu de style, celui-ci fut réécrit, sans doute par un auteur plus cultivé, placé sous l’autorité de saint Jérôme sous le nom d’Évangile du Pseudo-Matthieu. Et quand, à son tour, cette version parut vieillie, elle fut à nouveau retravaillée à l’époque carolingienne sous le nom de Nativité de Marie. La postérité de ce texte fut énorme. C’est de lui que naquit la dévotion aux parents de la Vierge, Joachim et Anne.


Tableau de Gerard Van Honthorst (15e siècle)

Tableau de Gerard Van Honthorst (15e siècle)


Encore aujourd’hui, à Sainte-Anne d’Auray, on rend un culte à une sainte dont tout ce qu’on sait provient de ce texte. Le récit servit également de source à des fêtes liturgiques comme la Présentation de la Vierge. Il connut enfin une nombreuse postérité dans l’art : des scènes typiques comme le bâton qui fleurit de Joseph, la Vierge au Temple ou le mariage de la Vierge en sont directement issues. De même, la présence régulière dans l’art flamand de la sage-femme Salomé provient de ce texte. Toutes les fresques peintes par Giotto dans la chapelle Scrovegni de Padoue reprennent ces scènes de la vie de Joachim et d’Anne. Il en va de même pour les icônes orthodoxes de la vie de la Vierge.


Pour les plus humbles


Les apocryphes de l’enfance de Jésus sont des textes passionnants car ils nous permettent de confirmer que le christianisme primitif est avant tout multiforme : il a évolué au gré des particularités géographiques et des options idéologiques ; il a manifesté le constant souci de s’adresser aux couches les plus humbles. Ainsi la trace des débats qui firent rage autour de la virginité de Marie et de l’origine soi-disant obscure de Jésus transparaissent dans le Protévangile de Jacques. Tout comme la tendance à l’ascétisme qui obséda certains milieux chrétiens des premiers siècles. Dans la Vie de Jésus en arabe, l’Égypte qui constitue un centre fondamental pour le christianisme primitif est présentée sous une autre facette : si l’on connaissait bien la foi très complexe des intellectuels à travers des Pères de l’Église comme Clément d’Alexandrie ou Origène, le texte nous renseigne sur la foi plus simple de leurs ouailles. L’étude des textes sur ­l’Enfance de Jésus permet de ressusciter la théologie des milieux populaires, de percevoir les débats sur la divinité du Christ et la question de la place du miracle dans la foi, ainsi que l’importance des usages locaux que chaque communauté entendait préserver. On peut ainsi mieux connaître et mieux comprendre les textes canoniques et l’histoire de l’Église, ce qui explique la faveur dont ils jouissent à l’époque actuelle auprès des spécialistes.



Régis Burnet (publié le 24/12/2012 )

Source: www.lemondedesreligions.fr